Suite aux révélations du livre Les Fossoyeurs, Yann REBOULLEAU, président du groupe Philogeris développe son approche du « résident-consommateur », permettant de considérer l’identité de la personne âgée. Il est intolérable de croire qu’une personne âgée ayant perdu son autonomie, n’est plus une personne formelle avec des droits, des souhaits et des aspirations. Dans la facture payée par le résident-consommateur, l’éthique n’est pas une option, elle est nécessairement incluse dans la prestation de base. Nous vous proposons de découvrir cette pensée à travers cet édito.

EHPAD, éthique comprise ...

J’appartiens à une profession qui depuis désormais une semaine se trouve placée au centre de l’actualité. Pire dirons certains, je fais commerce d’accueillir au sein d’établissements, dont je suis le dirigeant en même temps que l’actionnaire, ceux de nos concitoyens âgés à qui la vieillesse apporte un lot tel de perte de capacités qu’ils n’ont d’autre choix que de devoir s’en remettre à la qualité des prestations avec laquelle, avec mes équipes, nous prétendons faire en sorte que le crépuscule de leur vie ne soit pas exempt de moments de bien être, de plaisirs modestes mais quotidiens, et des soins rendus nécessaires par leurs maladies.

Ces personnes très âgées, ces personnes très affectées par la maladie et la perte d’autonomie, on les appréhende collectivement sous le terme de résidents. Parce que précisément leur accueil est l’activité dont je fais commerce, j’assume de les considérer comme mes clients, comme des consommateurs dont l’acte d’achat d’un séjour dans un de mes établissements n’est que le prolongement d’un statut dont ils ont été investis toute leur vie. C’est d’ailleurs l’un des premiers paradoxes de cette séquence médiatique récente : beaucoup parlent en leur nom, mais qui s’est véritablement soucié de recueillir leur avis ?

La prémisse de l’assimilation assumée du résident à un consommateur, c’est l’affirmation de sa citoyenneté. Nos résidents appartiennent aux générations qui ont été les acteurs des évènements, sombres ou lumineux, de la deuxième partie du XXe siècle : la décolonisation, le difficile et long chemin de la reconnaissance des sexualités minoritaires, la conquête du droit à la contraception et à l’avortement, les progrès de la médecine, l’exploration de l’espace … et un système de protection sociale. Ils ont bien avant nous exercé des métiers, fait corps social, élu ou renversé des gouvernements, donné à leurs enfants une éducation et tremblé de ne pas les voir connaître un avenir conforme à leurs aspirations. D’où vient-il que, parvenus au terme de leur existence et affectés par la perte d’autonomie, ils n’auraient plus intégralement leur « droit de cité », qu’ils devraient laisser à d’autres, aussi soient-ils animés de bonnes intentions, le privilège, pour ne pas dire le monopole, de parler en leur nom ?

La considération accordée à nos anciens dans cette qualité de consommateurs n’autorise pas à se comporter en voyou. Elle fait même devoir à celui qui propose ses services à la vente d’y mettre le prix de revient qui assure à la prestation la valeur que lui reconnaîtra le client.

Que ceux parmi ces clients qui appartiennent aux catégories les plus aisées fassent le choix d’un EHPAD dont les prestations sont facturées à la hauteur de leurs importants moyens n’est pas en soi choquant ; cela devrait à tout le moins porter leur niveau d’exigence à cette même hauteur, et conduire le prestataire encore à prétendre à la même altitude. Ce qui finalement dans l’affaire de la résidence des bords de Seine est le plus surprenant, c’est que, plus que n’importe quel contrôle, ce « marché » honni par certains n’est pas rempli son rôle, c’est que le niveau d’exigence des résidents et de leurs proches n’ait pas permis qu’une éventuelle distance entre la prestation attendue et la prestation délivrée soit spontanément comblée. Sauf à considérer que s’est constituée la combinaison d’un double aveuglement, celui d’un gestionnaire en même temps que celui de ses clients.

Nul directeur d’établissement – commerçant ou non – ne peut se targuer de n’avoir, jamais, été exposé à l’insatisfaction de l’un ou l’une de ses résidents, et plus encore de l’un des proches de ces résidents. Ces plaintes, si elles ne sont pas entendues, évoluent invariablement vers au mieux la perte du client, au pire vers une expression plus bruyante encore. Ne pas les entendre, ne pas les écouter, jusqu’au point où elles en viennent à relever du succès d’édition, est une faute par défaut d’intention éthique, et les victimes de cette faute sont autant les résidents que l’institution – l’entreprise – qui les accueille.

L’établissement, l’institution, est un corps vivant plus qu’il est un immeuble inerte. Rien ne sert de l’habiller de la plus belle architecture, du plus beau des mobiliers ; ce qui fait sa beauté vivante, c’est l’harmonie opérationnelle des femmes et des hommes qui s’y activent chaque jour. Dans ce commerce des EHPAD, la part la plus difficile est sans aucun doute celle de l’exercice du métier de patron, d’employeur. Les professionnels qui forment les équipes à l’œuvre au quotidien auprès de nos résidents sont les artisans de la qualité, ou de l’absence de qualité de la prestation proposée. La fonction d’employeur comporte nécessairement l’exercice d’une autorité, et il peut arriver que l’exercice de cette autorité doive faire son affaire d’une situation conflictuelle, d’un désaccord sur la qualité du travail rendu jusque, parfois, dans la rupture de la relation de travail.

Le corollaire du pouvoir de sanction est, encore une fois, un devoir. Celui de, aussi souvent que nécessaire, faire en sorte que la rupture brutale de la relation de travail n’intervienne jamais. Cela n’est possible que dans une gestion de la ressource humaine qui ne soit pas que comptable, dans une gestion qui conserve une part essentielle à la formation et à la compréhension, par les acteurs de l’équipe, du sens du travail réalisé, et par le partage de la considération à l’égard de cet ainé qui remet son bien-être entre les mains de ces professionnels.

Dans le bien commun enfin que nous ont transmis les générations qui nous confient aujourd’hui le bien-être de leurs dernières années, il se trouve un régime de protection sociale. Même si ce régime porte désormais les écorchures d’une existence plus que cinquantenaire, même s’il parvient de moins en moins à faire face au défi de ce que l’on appelle la révolution de la longévité, il assure à chacun, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit jeune ou vieux, la garantie d’une santé protégée un système de soins parmi les plus efficaces du monde, construit autour d’un vaisseau amiral qu’est l’hôpital public, support de la recherche universitaire et des progrès de la médecine qui sont un héritage – encore – des générations qui nous ont précédé. Dans ce système de santé, chacun dans son expertise, chaque acteur doit être rémunéré à la hauteur de son talent et des investissements qu’il y a réalisés. Pas plus, pas moins.

Les résidents de nos établissements, comme accessoire de leur citoyenneté, ont la qualité d’assurés sociaux et doivent demeurer pleinement éligibles à la même qualité de soins que celle accordée aux générations plus jeunes, même s’il ne s’agit plus de guérir ou de sauver. Quel que soit leur statut, nos établissements sont des opérateurs du système de soins et doivent bénéficier d’une juste affectation de la part du budget que notre système de protection sociale accorde aux prestations qu’il nous demande de réaliser.

Dans cette égalité de moyens, qui est le corollaire des principes d’universalité et d’égalité de notre système de protection sociale, nous devenons dépositaires de ce bien commun. Elle nous fait à nouveau devoir, celui d’affecter jusqu’au dernier centime de ces budgets à la prestation de soins délivrée à nos résidents, laquelle inclut évidemment la rémunération des professionnels qui participent à la réalisation de cette prestation et des investissements ou achats qui lui sont nécessaires.

Elle n’autorise en revanche – moralement avant que juridiquement – aucune intermédiation ni aucune forme que ce soit de profit. Le bien commun a ceci de particulier que son bénéfice va à des individus qui forment un corps social, et qu’il ne prend jamais la forme d’un dividende.

Dans la facture mensuelle d’un EHPAD, pour la part payée par le résident-consommateur comme pour celle prise en charge par la solidarité nationale, l’éthique n’est pas une option. Elle est nécessairement incluse dans la prestation de base.

Yann Reboulleau, Président Groupe Philogeris (publication Linkedin du 1 févr. 2022)

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